Le nouveau capitalisme criminel
Jean-François Gayraud le dit brutalement à la fin de son ouvrage : « Un certain capitalisme financier, mondialisé et dérégulé, marque la fin de la démocratie telle que nous l’avons vécue depuis un siècle (…) La privatisation du monde au profit des puissances privées – légales, criminelles ou grises – vassalise les Etats et les peuples… » En bon haut fonctionnaire de la Police nationale, il nous fournit toutes les pièces de son acte d’accusation.
Partant de la récession yakuza au Japon et des pyramides albanaises, il nous montre comment « les pratiques criminelles deviennent la norme et s’institutionnalisent ». Puis il prend l’exemple des narcobanques qui servent le crime organisé : pas seulement la BCCI, mais aussi les « respectables » Wachovia et Hong Kong & Shanghai Banking Corporation (HSBC).
Tous ces établissements ont systématiquement blanchi l’argent de la drogue, avec la complicité des gouvernements, des services secrets et de la justice. Ce qui explique pourquoi « seulement 1 % - et le rapport [de l’agence spécialisée de l’ONU] de préciser probablement que c’est en fait plutôt 0,2 % - des 1600 milliards de dollars blanchis chaque année dans le monde parviennent à être captés par les instances de régulation ou de répression ». « Le poids des contributions électorales émanant de la BCCI et de ses affidés ne peut être sous-estimé », commente sobrement Gayraud. Il n’y a donc jamais eu réellement de guerre à la drogue, mais une opération de relations publiques portant ce nom.
Vient ensuite le trading de haute fréquence : « Les automates très rapides s’interposent en effet entre acheteurs et vendeurs et raflent les meilleurs prix, conduisant les gérants à acheter ou vendre à des cours moins favorables, ou en retard. » C’est au départ un parasite qui devient système, investissant tout grâce à la circulation de l’argent, la vitesse des ordinateurs et la multiplication des délits d’initiés. En 2012, cette escroquerie organisée représentait près de 40 % des transactions réalisées sur des actions en Europe. A cela se greffe, grâce à la directive MIFID, appliquée en France le 1er novembre 2007, l’apparition de bourses privées échappant à tout contrôle et infestées de requins.
Alors, pourquoi ne fait-on rien ? Parce que la régulation est devenue impossible – « la mondialisation permet toutes les ruses, échappatoires et contournements possibles » – et que les pouvoirs en place ne veulent pas interdire un système dont ils se sont faits complices et bénéficiaires.
Le grand mérite de Gayraud est de montrer d’où vient ce système et où il va. Au départ, il y a la main invisible d’Adam Smith, qui est « une main de couleur noire », comme le dit Gaël Giraud : au soubassement de l’Empire que Smith sert, et en particulier les opérations des négociants de tabac de Glasgow, il n’y a pas que « la terre abondante » et « la liberté de faire » mais la production par l’esclavage en Amérique. A l’arrivée, le système ne peut plus fonctionner sans provoquer une révolte sociale et la « bande de voyous » de la banque JP Morgan Chase avance sa solution. Dans le rapport de son European Economic Research, elle propose, le 28 mai 2013, « la quasi disparition des démocraties européennes et l’avènement de régimes autoritaires ». En d’autres termes, une nouvelle forme de fascisme financier.
La Caste cannibale
- Sophie Coignard, Romain Gubert, La caste cannibale, quand le capitalisme devient fou, Albin Michel, 2014.
La Caste cannibale dénonce les collaborateurs français de ce système, qui « ont – presque – tout confisqué et se situent désormais au-dessus des lois ».
Or « ce sont des Français, des hommes proches de l’Administration et de surcroît marqués à gauche, qui ont sciemment accéléré le processus » : Henri Chavranski à l’OCDE, Jacques Delors à la Commission européenne et Michel Camdessus au FMI.
Ensuite défilent les Naouri auprès de Pierre Bérégovoy, les amis de Balladur et les distributeurs d’effets toxiques de Dexia.
Avec Michel Pébereau au sommet de la pyramide sous tous les régimes.
Mon amie c’est la finance
- Adrien de Tricornot, Mathias Thépot, Franck Dedieu, Mon amie c’est la finance ! Comment François Hollande a plié devant les banquiers, introduction de Gaël Giraud, Bayard, 2014.
Mon amie c’est la finance démontre enfin comment cette caste cannibale a circonvenu François Hollande et organisé sa reddition en rase campagne devant les banquiers et les hauts fonctionnaires du Trésor, avec ici Ramon Fernandez, nommé par Sarkozy directeur du Trésor et confirmé par la nouveau pouvoir pour arranger le leurre de la réforme bancaire. Ils manifestent de fait « une totale indifférence au sort du tissu industriel » et considèrent les travailleurs comme une espèce inférieure coûteuse.
Gaël Giraud, dans son excellente préface, conclut : « Il faudra bien voter à nouveau la séparation bancaire. Puis aller plus loin : restituer le pouvoir de création monétaire au gouvernement et au peuple, à qui il appartient. » Hélas, ces experts si compétents en restent à leur expertise et ne proposent pas la porte de sortie systémique : une politique de crédit public pour de grands projets dans le monde réel des hautes densités de flux d’énergie. Ceux pour lesquels ici nous-mêmes nous battons et qui peuvent seuls donner une vision et une espérance au peuple, au-delà de ce que mes amis jésuites appellent des « délectations morbides ».