La France avec les yeux du futur
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Stérilité

mercredi 6 février 2013

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Je viens de rencontrer un chercheur qui opère aux frontières du connu, poète et astrophysicien. Je lis en même temps un petit livre de Jacques Rancière, Le maître ignorant , que des amis m’ont fait parvenir. Et me voici disposant de deux contrepoisons pour affronter le pessimisme dominant aujourd’hui notre société française, qui se heurte comme un insecte aux parois de son bocal. Leur nature même porte à partager. Dans les deux cas, la connaissance n’est pas conçue comme une somme de données existantes ou comme une matière que l’on explique, mais comme une expérience du passage à la limite que le chercheur ou l’enseignant offre à la curiosité des lecteurs ou des élèves. Dans les deux cas, c’est le futur qui définit le présent et non l’extrapolation du passé. La relativité d’Einstein apparaît en imaginant la réduction de l’effort pour élever un poids au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la terre. Car c’est en parcourant un domaine nouveau que l’explorateur étend sa connaissance. Par exemple, lorsque Joseph Jacotot, lecteur à l’université de Louvain en 1818, s’aperçoit que ses élèves ignorant le français s’avèrent capables de l’apprendre par eux-mêmes en lisant une édition bilingue de Télémaque , sans autre intervention extérieure que la passion de connaître que leur enseignant leur a communiquée.

Passion associée à la connaissance et non désir de s’insérer dans la société ou d’apprendre un code pour être mieux classé : voici le fondement d’un enseignement d’êtres humains et non d’animaux savants dont on remplit la mangeoire intellectuelle avec le fourrage du déjà su. Remarquons en passant que couper les banques en deux et lancer une politique de crédit public pour investir dans les découvertes à venir correspond précisément, dans le domaine politique, à un passage à un système d’un ordre relativement supérieur à l’ordre socialement destructeur de la domination financière actuelle. Mobiliser pour en sortir demande une passion politique de même nature que celle qui est nécessaire pour élever et épanouir un élève.

Face à cette joie de transformer et de se transformer pour transformer, notre société française est soumise à un pessimisme induit qui la rend impuissante. Deux sondages récents en sont l’expression. Le premier est l’enquête Ipsos, France 2013, les nouvelles fractures. Environ 90 % des Français pensent que notre puissance économique a décliné et 63 % qu’il en est de même pour notre rayonnement culturel. Leur conclusion : défiance et refus de l’autre. Car 75 % estiment que l’islam progresse trop en France et 66 % qu’il y a trop d’immigrés. Et 78 % affirment qu’ « on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ». Conclusion : 87 % pensent qu’on a « besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre en France ». Le second sondage, sur les jeunes, a été effectué par Viavoice pour Libération  : 63 % contre 26 % pensent qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Leur première raison d’indignation, ce sont « les personnes qui profitent du système d’aides sociales » . Ils ne croient ni à l’action politique, ni à l’action collective et encore moins l’action syndicale ou culturelle pour « améliorer leur quotidien ».

Faut-il donc devenir soi-même pessimiste en lisant ces résultats, assénés avec complaisance ? Si on a compris le chercheur et « le maître ignorant », c’est non, mille fois non. Une crise est aussi une occasion de changer. La défiance, le pessimisme et la dépression sont aussi des expressions cliniques du besoin d’autre chose. A nous de l’apporter. En nous mettant au service de la justice et des générations futures. Ce qui manque tellement, de toutes parts, dans le débat stérile sur le « mariage pour tous ».

Jacques Cheminade

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