La France avec les yeux du futur
Archives

Un vrai Nouveau Bretton Woods, enjeu de civilisation

vendredi 3 octobre 2008

Partagez l'article

Un appel pour un « nouveau Bretton Woods » a été lancé lors de l’université d’été du Parti socialiste à La Rochelle, fin août, notamment par François Hollande et Michel Rocard. Ainsi s’est trouvé reconnu le caractère général de la crise du système international actuel, « qui touche tous les continents », et par conséquent la nécessité de passer à un nouvel ordre au sein duquel « la finance folle ne doit plus nous gouverner ». M. Sarkozy, dans le discours qu’il a prononcé le 25 septembre à Toulon, a donné à cette démarche la caution du chef de l’Etat français et du Président de l’Union européenne :

« Je suis convaincu que le mal est profond et qu’il faut remettre à plat tout le système financier et monétaire mondial, comme on le fit à Bretton Woods après la seconde guerre mondiale. Cela nous permettra de créer les outils d’une régulation mondiale que la globalisation et la mondialisation des échanges rendent indispensables. On en peut pas continuer de gérer l’économie du XXIe siècle avec les instruments de l’économie du XXe. On ne peut pas davantage penser le monde de demain avec les idées d’hier.

« Quand les banques centrales font tous les jours toute la trésorerie des banques et quand le contribuable américain s’apprête à dépenser 1000 milliards de dollars pour éviter la faillite généralisée, il me semble que la question de la légitimité des pouvoirs publics à intervenir dans le fonctionnement du système financier ne se pose plus ! »

Je ne peux que saluer cette convergence entre le Parti socialiste et le Président de la République, qui constitue une sortie publique, officielle et collective du déni de réalité. Ainsi se trouve « mise sur la table » la question politique fondamentale de notre époque, que Lyndon LaRouche pose depuis plus de trente ans et que j’avais mise au cœur de ma campagne présidentielle de 1995. Désormais, cette question ne pourra plus être retirée ou dissimulée. Michel Rocard l’a bien compris, en raison de son expérience politique. Il reste maintenant, après les mots, à passer aux actes sans plus attendre, en mettant le fer dans la plaie ouverte depuis le 15 août 1971. Qu’il soit, en particulier, bien clair que le plan Paulson, dans l’une ou l’autre de ses versions, qui consiste à jeter des centaines de milliards de dollars sur les marchés pour sauver toutes les créances douteuses des établissements financiers, est absolument incompatible avec le Nouveau Bretton Woods, qui est fondé sur la réorientation du crédit vers le travail humain et les investissements à long terme. Ceux qui ont accumulé des montages douteux doivent subir un redressement judiciaire à l’échelle mondiale, pour être éliminés des marchés et non sauvés du désastre.

En effet, le Nouveau Bretton Woods est la porte de sortie du système actuel, et non un remède illusoire qui prétendrait sauver ce qui ne peut l’être.

Cependant, pour qu’il ne reste pas une initiative rhétorique et puisse prospérer au niveau du défi mondial, un certain nombre de choses doivent être comprises, qui échappent encore à beaucoup, et tout particulièrement aux experts du Parti socialiste et à ceux consultés par Nicolas Sarkozy. Ils ont reçu leur formation universitaire et fait carrière au sein du système de libre-échange et d’émission de capital fictif qui caractérise l’économie internationale depuis près de quarante ans. Alors que le nouveau Bretton Woods ne peut, lui, être conçu et compris que du point de vue des Trente Glorieuses, de la reconstruction européenne de l’après-guerre et de la politique conduite par Franklin Delano Roosevelt aux Etats-Unis. Plus profondément, il s’agit de faire prévaloir l’économie physique sur l’économie monétaire, un système d’émission de crédit public-monnaie sur un système monétariste, dans lequel l’émission de monnaie est abandonnée entre les mains des banques et des compagnies d’assurance. Ce dont il faut sortir à tout prix est l’ordre actuel d’émission de capital fictif (sans contrepartie dans la production de biens ou l’équipement de l’homme et de la nature).

Dans le système d’économie physique, la création de crédit-monnaie est le monopole de l’autorité publique. L’exécutif le décide avec le consentement du législatif, en vue de financer de grands projets et exclusivement dans ce but. C’est le système américain, tel qu’il est prévu dans la Constitution de ce pays, même s’il a été abandonné, notamment depuis la dématérialisation totale de la monnaie décidée le 15 août 1971 par le président Nixon. C’est aussi le système français, sous forme d’avances de la Banque de France au Trésor public, tel qu’il prévalait avant le 3 janvier 1973. L’article 25 de la loi Pompidou-Giscard d’Estaing a alors stipulé que « le Trésor public ne peut plus présenter de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France ». Dès lors, sous prétexte de lutte contre l’inflation, le recours au crédit productif public a été interdit. Les traités de Maastricht (article 104, § 1) et de Lisbonne (sous la forme de l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) consacrent cet interdit (cf. ci-joint Annexe 1 sur « Les étapes de la dérégulation financière mondiale entre 1971 et 2008 »). Dans ces conditions, l’Etat ne peut émettre de la monnaie-crédit en avance de grands travaux à effectuer, le remboursement (« paiement différé », dans le vocabulaire du Plan Marshall) se trouvant assuré par l’exécution des grands travaux eux-mêmes. L’on remarquera ici qu’au sein de ce « corset », les grands travaux de Jacques Delors n’ont pu être effectués comme prévu et que le financement des échanges culturels Erasmus devra être « fatalement réduit ».

Le nouveau Bretton Woods, si les mots ont un sens, devra constituer une rupture avec cette « fatalité ». Non par un miracle, mais par une politique régulée d’équipement, conçue à une échelle internationale en vue du bien commun, ce que le Traité de Westphalie de 1648 appela « l’avantage d’autrui ». Pour en assurer le financement, il faudra annuler toutes les dispositions nationales ou européennes interdisant l’émission de crédit productif public, par delà le produit de l’impôt et l’emprunt. Parler d’un Nouveau Bretton Woods sans traiter cette question fondamentale reviendrait à parler pour ne rien dire : une réelle reprise de l’économie mondiale ne peut reposer que sur l’émission régulée de crédit-monnaie, suivant les dispositions que l’on trouve dans la Constitution américaine et ce que nous pouvions faire nous-mêmes avant le 3 janvier 1973.

A quoi s’oppose la logique politique du nouveau Bretton Woods ? Au système prévalant aujourd’hui, qui est une loi de la jungle avantageant le plus fort, c’est-à-dire les institutions financières internationales contrôlées par une oligarchie échappant pratiquement à tout contrôle, et particulièrement à celui des citoyens-électeurs. Il s’agit du « système britannique » ou « anglo-hollandais », hier « vénitien » et aujourd’hui réincarné sous une forme « anglo-américaine ».

Dans ce système monétariste, l’émission d’argent échappe aux Etats-nations et relève d’associations entre établissements financiers et banques centrales, pratiquement dégagées de toute responsabilité vis-à-vis des peuples. La preuve la plus éclatante en est donnée par le fait que les établissements financiers ont émis depuis plusieurs années des crédits sans fondement dans l’économie réelle, une véritable « monnaie de singe » ou capital fictif, et que, faisant face à des défauts de paiement, ils se sont adressés aux banques centrales, qui leur ont pris leurs « effets toxiques » en échange de bonne monnaie. Les fraudeurs ou les imprudents bénéficient ainsi d’un filet de protection qui leur permet de continuer leurs activités. C’est à ce système « pousse au crime » que le nouveau Bretton Woods a pour but de mettre fin, en lui substituant un crédit public « régulé » et productif (cf. Annexe 2, « Les paramètres du nouveau Bretton Woods »).

Il ne faut donc pas se leurrer. Le nouveau Bretton Woods ne peut être le fruit de la réunion d’une aimable assemblée de diplomates et d’administrateurs, voire de politiciens, recouvrant soudain la raison. Il ne peut être que le résultat d’un combat politique. Car l’oligarchie financière anglo-américaine et de matrice britannique, pour qui la loi du monde est d’acheter bon marché et de revendre plus cher, tout en conservant le profit obtenu de cette façon ainsi que les possessions qui lui sont associées, est une force politique « impériale », au sens générique du terme. C’est-à-dire un ensemble d’intérêts prédateurs conflictuels agglomérés autour d’un protecteur assurant le privilège d’intérêts privés héréditaires (les familles dominant actuellement les domaines financier, industriel, politique et médiatique ne sont que le reflet de ce principe héréditaire généralisé, que l’on peut interpréter comme une véritable « restauration »). Ce contexte politique suppose que les propagateurs du nouveau Bretton Woods partent au combat armés d’une stratégie, faute de quoi ils ne pourront réussir.

Cinq points doivent être compris avant d’agir :

  1. Le fait que, contrairement aux vues dominantes, le nouveau Bretton Woods n’est pas d’inspiration keynésienne, mais le produit de l’école de l’économie physique, celle de Leibniz, Hamilton, List, Henry et Matthew Carey, et Paul Cauwès en France. Keynes demeure dans l’ordre monétariste, dont sa Théorie générale de l’emploi, de l’impôt et de la monnaie ne constitue qu’une variante qui s’inscrit dans la matrice anglo-hollandaise et vénitienne. Nous devons ici nécessairement résumer les choses, mais ce point n’en est pas moins fondamental.

    Certes, Keynes établit qu’une augmentation des dépenses d’investissement est nécessaire pour stimuler une économie en état de dépression. Il appelle à recourir à de grands travaux (autoroutes, chemins de fer…) et à une politique de crédit en faveur de travaux publics ou aux besoins de l’armement, accompagnée d’une politique fiscale stimulant la demande. Ainsi, il n’est pas un « libéral orthodoxe ». Cependant, il reste dans l’ordre d’une économie monétaire : il se situe au sein du système de l’Empire britannique, dans lequel le profit financier et la demande restent les marqueurs du succès économique. Pour lui, le profit n’est pas réalisé par l’accroissement même des capacités productrices du travail humain, il n’est pas lié à l’accroissement des pouvoirs créateurs du travail humain. Il ne considère donc pas, dans ses choix économiques, la valeur-technologie (l’accroissement de la capacité de production par unité de surface, par être humain et par ménage), mais le rapport entre production, emploi et demande. Pour lui, l’investissement n’est donc pas déterminé par la capacité créatrice induite, comme pour tous les auteurs de l’économie physique, mais par l’accroissement de l’échange de biens, de distribution de salaires, de hausse de la consommation et de circulation de monnaie qu’il permet.

    Keynes constitue donc une « béquille » du système britannique, en s’efforçant d’introduire l’investissement productif au sein d’un ordre monétariste. Dans le nouveau Bretton Woods, au contraire, la valeur devra être déterminée par la « densité technologique », c’est-à-dire la qualité du travail humain mobilisé. Il ne s’agit pas d’acheter bon marché pour revendre plus cher, ni d’employer un maximum de gens sans considérer la qualité de leur travail, mais d’exprimer la capacité de création humaine dans la transformation de la nature par des découvertes et des innovations exigeant un type d’opérateur toujours plus qualifié. Le « prix » des produits sera alors déterminé par la qualité de leur contribution à la dynamique de l’ensemble. L’objet de l’Etat est d’inspirer et de protéger cette dynamique.

    C’est là tout le sens du nouveau Bretton Woods. La preuve que le système keynésien était et demeure une variante du système prédateur est qu’il inspira la politique prédatrice du ministre de l’Economie d’Hitler, Hjalmar Schacht. Dans sa note à la traduction française de la Théorie générale, publiée aux éditions Payot en 1942, Jean de Largentaye le reconnaît volontiers : « Quant à la politique monétaire appliquée en Allemagne depuis 1933 par le Dr Schacht, il paraît malaisé sans l’aide de la Théorie générale d’en comprendre la nature et ses résultats. » On peut peut-être juger l’argument comme étant lié à un contexte historique exceptionnel. Il faut répondre à cela qu’un disciple de Keynes, Abba Lerner, répliqua à Lyndon LaRouche, lors d’un débat fameux qui se tint en 1971 à l’université de Columbia, que les politiques schachtiennes s’avéraient nécessaires, dans le Brésil de ces années-là, afin d’éviter l’imposition d’un fascisme politique en promouvant un fascisme économique « à visage humain ». On eut là-bas les deux.

    Cela nous amène au second point, la capacité de reconnaître le caractère destructeur de l’ordre impérial britannique.

  2. Le nouveau Bretton Woods suppose en effet que l’on sache distinguer entre une alliance de Républiques souveraines, avec pour objectif un développement mutuel des capacités créatrices de l’homme, et un ordre fasciste impérial fondé sur le pillage des ressources. De ce point de vue, il est fondamental de distinguer les intérêts financiers d’un Empire, le type « britannique » avec ses extensions actuelles aux Etats-Unis, de la vision d’une République telle qu’elle se trouve définie dans la Déclaration d’indépendance américaine et dans le Préambule de la Constitution de ce pays. En ce sens, le nouveau Bretton Woods est l’expression économique de « la recherche du bonheur » mentionnée comme un des droits inaliénables de l’homme dans la Déclaration d’indépendance. Rappelons que « recherche du bonheur » était opposé à « propriété », notion qui fut finalement écartée.

    Ce point est fondamental pour comprendre l’arrière-plan économique et philosophique du nouveau Bretton Woods. Propriété signifie en effet droit à la possession, qui justifie un usage du bien lié au propriétaire individuel. Sa mention justifierait ainsi la domination actuelle des banquiers centraux, des institutions financières et des sociétés d’assurance sur l’Etat, en tant que représentant l’intérêt général des citoyens.

    Recherche du bonheur signifie au contraire organiser le potentiel pour une vie meilleure de tous et de chacun, y compris des générations à naître. Cela suppose le financement d’une « logistique » du développement économique mutuel et l’amélioration des rapports sociaux et humains permettant un accroissement des capacités créatrices du travail humain. C’est l’objet même du nouveau Bretton Woods : la mise en œuvre de grands projets d’équipement à l’échelle européenne et eurasiatique (équipement physique de la nature et équipement humain sous forme d’écoles, d’hôpitaux, de laboratoires…). C’est cette mise en œuvre, financée par du crédit productif public, consubstantiel à l’idée même de nouveau Bretton Woods, qui permettra à l’humanité de s’assurer un futur, à l’opposé de la matrice destructrice du système actuel. Il ne s’agit pas en ce sens d’une rupture, mais de l’expression d’une volonté générale de continuer l’histoire humaine. C’est ici que le nouveau Bretton Woods, en tant que système financier et monétaire international, n’est pas un instrument technique résultant de l’étude consciencieuse d’un dossier, mais un principe fondateur d’Etats-nations Républiques.

    Le mettre en place revient à gagner une véritable guerre politique contre le système anglo-américain à matrice britannique, devenu facteur de destruction sociale généralisée. Celui-ci a abouti non seulement à l’étranglement financier des pays pauvres, mais à la destruction de la classe moyenne dans les pays dits développés. Ce processus s’est accompagné d’une destruction culturelle, par ce que Margareth Thatcher appelait le « court-termisme » qui caractérise une société-écran fondée sur le profit monétaire rapide, le jeu et l’image. Politiquement, le nouveau Bretton Woods est le principe fondateur d’une société rejetant cette évolution autodestructrice.

  3. Ici se pose la question du temps. Le nouveau Bretton Woods se situe par définition dans l’espace d’un temps long, dont il doit rétablir la priorité, par rapport au temps court de la société du capitalisme financier, ou plus précisément du système britannique.

    Le comprendre revient à penser sur l’espace de plusieurs générations, dans le passé comme dans l’avenir. Ce qui revient, en d’autres termes, à rétablir l’idée de responsabilité humaine par rapports aux autres êtres humains et à la nature.

    Cette idée est directement associée à celle de développement du potentiel précédemment mentionné. Il faut donc illustrer le nouveau Bretton Woods par les grands projets de développement qu’il permettra de financer, resituant l’être humain « à la frontière » de son avenir. Un réseau intercontinental et transcontinental de trains à grande vitesse, allant de l’espace eurasiatique à l’Amérique du Sud en passant par un tunnel ou un pont sous le détroit de Béring, la revitalisation du lac Tchad afin de créer l’indispensable « poumon d’eau » pour l’Afrique centrale, un programme commun de transmutation pour créer des matières premières, une stratégie commune pour l’exploration du système solaire, une grande politique de l’eau soustraite à la cupidité des intérêts privés sont autant d’exemples de ces « projets communs pour la cause de l’humanité » exigeant une mobilisation nouvelle des énergies. En ce sens, l’on peut dire que le nouveau Bretton Woods a pour mission de mobiliser pour la paix et l’avenir de l’espèce les ressources et les moyens que le XXe siècle n’a su mobiliser que pour la guerre.

  4. L’on ne peut cependant s’en tenir à des considérations générales, aussi justes et nécessaires soient-elles. Disposer d’une stratégie suppose que l’on évalue de quels alliés on pourra disposer. A l’échelle internationale, il faudra tout le poids des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine et de l’Inde.

    Le rôle des Etats-Unis est fondamental pour trois raisons. La première est qu’un effondrement du dollar entraînerait une désintégration généralisée de toute l’économie mondiale, qui lui est associée. La deuxième est que la Constitution américaine prévoit la possibilité d’émission de crédit productif public (le système américain originel est un système de crédit-monnaie, nous l’avons dit, par nature anti-monétariste) sur demande de la présidence et avec le consentement de la Chambre des représentants. La possibilité est là, ce qui manque est bien entendu la volonté politique et la culture économique. La troisième raison, encore plus importante, est que le meilleur de la société politique américaine a toujours été porté vers le futur, en comportant intrinsèquement l’idée de potentiel. Vouloir se passer des Etats-Unis ou substituer une autre devise au dollar serait donc, que cela nous plaise ou non, tout simplement impossible.

    La Russie, l’Inde et la Chine sont aussi nécessaires en raison de leur poids et du développement qu’elles ont réussi à mettre en place, malgré son caractère socialement inégal et dépendant d’un système d’exportations, en ce qui concerne tout particulièrement la Chine.

    Comment faire pour « mettre ensemble » une alliance aussi nécessaire mais paraissant aujourd’hui si improbable ? La première chose est de soutenir aux Etats-Unis les forces politiques émergentes qui s’opposent au contrôle du pays par Wall Street et la City de Londres, et qui avancent un projet explicite, opposé et cohérent. Il est évident que les candidatures de McCain et d’Obama ne répondent en rien à ces considérations. Il faut donc que les socialistes français cherchent ailleurs, y compris dans la base du Parti démocrate, sans se laisser guider par les idées reçues ou toutes faites de la presse, des rumeurs d’ambassade ou d’experts plus ou moins autoproclamés. En gros, il s’agit, pour promouvoir un nouveau Bretton Woods, de s’allier avec ceux qui, aux Etats-Unis, veulent éliminer le facteur « Anglo » de « l’Américain ».

    La seconde chose est de parler franc avec les Russes, les Indiens et les Chinois, en voyant bien le monde du point de vue de leur intérêt en tant que nations, et non en tant que pions de la géostratégie anglo-américaine.

    Quel peut donc être le rôle d’une France réduite à un rôle apparemment limité face à de telles forces et du fait d’avoir accepté l’interdiction de tout recours au crédit productif public ? La réponse est à la fois évidente et prometteuse. La France doit jouer un rôle de catalyseur, l’élément par lequel une réaction chimique ou politique peut s’effectuer ou pas. Elle est vue à la fois comme amie des Etats-Unis, proche de l’Inde et historiquement jamais hostile à la Russie ou à la Chine. Il y a donc là un atout très important à jouer pour le nouveau Bretton Woods, à condition que ce soit avec l’Allemagne et l’Italie. Cependant, pour pouvoir le jouer, la France doit clairement rejeter à la fois l’interdit de la loi du 3 janvier 1973 et l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Car celui qui avance corseté et pieds et poings liés financièrement ne peut être un interlocuteur crédible.

    Il y a bien évidemment un risque de créer d’abord un chaos en Europe. Mais puisque de toutes façons, l’Europe actuelle se trouve réduite à l’impuissance politique, ce risque est tout à fait relatif. De plus, l’Italie, alliée des Etats-Unis mais qui a entrepris un rapprochement avec la Russie, et qui se trouve condamnée par le système financier européen actuel, nous suivra rapidement – ou peut-être même nous précédera, si nous tardons trop. L’Allemagne, sous la pression de ses industriels et de ses banquiers déstabilisés, ne pourra que suivre.

    Cette stratégie pourra être jugée « anti-européenne » par des socialistes très légitimement attachés à l’idée d’Europe. Mais elle ne l’est tout simplement pas. Elle vise simplement à redonner aux pays européens l’oxygène du crédit public productif – la transformation d’argent en capital – pour qu’ils puissent jouer un rôle digne de leur histoire.

  5. Enfin, c’est dans ce contexte d’un développement mutuel harmonieux et nécessaire pour les générations à naître, que doit se poser la question de l’écologie. En rejetant une écologie pessimiste, qui exclut l’homme de la nature et jette systématiquement le doute sur ses découvertes et leur application. Cette écologie-là est explicitement ou implicitement malthusienne, et s’avère, dans son refus des pouvoirs créateurs de l’être humain et de leur application, comme la complice, consciente ou pas, des intérêts financiers anglo-américains, qui craignent plus que tout un monde dans lequel chacun pourrait exercer ses pouvoirs créateurs au détriment du principe héréditaire de l’oligarchie dominante. Une écologie humaine, au contraire, prenant en compte la nécessité d’appliquer les pouvoirs créateurs de l’être humain pour le bien commun de ses semblables et la nature, pour que la noosphère crée les conditions dans lesquelles l’histoire de la biosphère puisse continuer, est au contraire consubstantielle à l’approche du nouveau Bretton Woods.

    C’est ici que se pose la question connexe du nucléaire. Celui-ci est non seulement nécessaire mais indispensable, à trois conditions. La première est qu’il ne soit pas un mode donné à un moment donné, mais un processus de développement continu. C’est de ce point de vue que le nouveau Bretton Woods doit permettre de financer le développement des réacteurs de la quatrième génération (notamment le HTR, à sécurité intrinsèque) et d’accélérer les expérimentations sur la fusion thermonucléaire contrôlée. La seconde condition est qu’au développement du nucléaire doit correspondre un type de société participative et basée sur l’essor des pouvoirs créateurs de l’homme. Cela signifie une démocratie de vérité et non une démocratie démagogique d’opinion, une explication constante de ce qui est fait apportée aux citoyens et une politique d’exploration spatiale portant à voir plus haut et plus loin. La troisième condition est l’intégration du nucléaire dans un processus industriel d’ensemble, c’est-à-dire dans un développement harmonieux et solidaire correspondant.

    Le nucléaire doit être développé car il est la forme de production d’énergie la plus dense par être humain et unité de surface (il est porteur de plus de création humaine) mais il ne doit pas être la chose des écologistes ou des nucléocrates professionnels, il doit être la cause de tous.

Voici donc ce qu’implique un nouveau Bretton Woods. A un moment de l’histoire où la désintégration financière et monétaire est le marqueur économique d’une crise de civilisation, le nouveau Bretton Woods ne peut rester la chose de technocrates, d’experts ou de politiques, mais il doit devenir la cause commune de l’humanité. Car c’est notre civilisation qui est l’enjeu, à la fois moral et très immédiatement concret.

ANNEXE 1
Les étapes de la dérégulation financière mondiale, 1971-2008


  • 15 août 1971 : dématérialisation totale de la monnaie. Le président américain Richard Nixon, conseillé par George Shultz (qui sera plus tard le mentor des administrations Bush père et fils), supprime la libre-convertibilité du dollar en or. Ce découplage sera suivi de mesures de dérégulation des marchés permettant des spéculations de plus en plus énormes.
  • 3 janvier 1973 : loi Pompidou-Giscard d’Estaing par laquelle la Banque de France abandonne son rôle de service public. Article 25 : « Le Trésor public ne peut plus présenter de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. » Dès lors, sous prétexte de lutte anti-inflationniste, le recours au crédit productif public est interdit.
  • Mars 1973 : régime des changes internationaux flottants. Il n’y a plus de contrepartie métallique à la monnaie émise, seulement de la dette. Les spéculateurs peuvent s’en donner à coeur joie avec des produits financiers dérivés, en particulier sur les taux de change entre monnaies (on parie plusieurs fois sa mise, avec un effet de levier, moyennant des informations obtenues sur les pressions politiques exercées sur telle ou telle devise d’Etat).
  • 1987 : Alan Greenspan combat l’effondrement des bourses mondiales par l’émission pratiquement illimitée de monnaie-crédit en faveur des marchés.
  • 1992 : Traité de Maastricht. Prélude à un euro découplé de l’autorité des Etats. Abdication de fait des souverainetés nationales par privation des moyens de les exercer. Son article 104, § 1, « interdit en effet à la BCE et aux banques centrales des Etats membres, si après dénommées "banques centrales nationales", d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Etats membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE, ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »
  • 4 août 1993 : loi Mitterrand-Balladur donnant son indépendance à la Banque de France. Son article 3 lui interdit d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publique, de même que l’acquisition de titres de leur dette.
  • Juin 1997 : Jacques Cheminade et Christophe Lavernhe rédigent Un plan de relance par le crédit productif, ou la nécessaire transformation de la monnaie en capital, expliquant comment les monnaies nationales sont prises en otage par les intérêts financiers depuis le renoncement de 1973 en France et le Traité de Maastricht à l’échelle européenne. Rejet de la proposition d’avances par la banque de France au Trésor public pour un plan de relance économique, faite par un groupe parlementaire français, jugée contraire au Traité de Maastricht et au choix effectué en 1973.
  • 12 mai 1998 : loi Chirac-Jospin, intégrant la Banque de France au Système européen de banques centrales (SEBC) et à la BCE. Le Traité de Maastricht prévoyant déjà que « l’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix ».
  • 1999 : vote aux Etats-Unis du Gramm-Leach-Bliley Act, qui annule le Glass-Steagall Act voté sous la présidence Roosevelt. Désormais, il n’y a plus de séparation aux Etats-Unis entre banques de dépôt et banques d’affaires, et les banques sont autorisées à fusionner avec des sociétés d’assurance. Chute de la « muraille de feu » prudentielle. L’Europe, elle aussi, déréglemente.
  • Mai 2005 : rejet par le peuple français du Traité constitutionnel européen qui, dans son article III-181, aurait « constitutionnalisé » l’article 104, § 1 du Traité de Maastricht.
  • 2007-2008 : le Traité de Lisbonne reprend (article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) l’article 104, §1 du Traité de Maastricht. L’objectif est bel et bien d’abandonner la création monétaire aux banques privées, dans un contexte de mondialisation financière sans limites.

ANNEXE 2
Les paramètres du Nouveau Bretton Woods


Lorsque, du 1er au 22 juillet 1944, les ministres de l’Economie et des Finances des principaux pays occidentaux se sont réunis à Bretton Woods, leur objectif était de construire un système monétaire stable, qui permette le développement de la production et la progression des échanges. Ce système fut un succès et permit, avec le plan Marshall, la reconstruction de l’Europe de l’après-guerre. Il fonctionna de façon relativement satisfaisante tant que demeura la primauté relative de l’économie physique sur l’économie financière. Il fut mis en échec par les dérapages successifs d’un dollar livré aux spéculations des marchés, l’émission des monnaies se faisant de plus en plus par des jeux d’écriture effectués par les banques et les sociétés d’assurance. Le 15 août 1971, sous la présidence de Richard Nixon et sur le conseil d’intérêts financiers devenus depuis de plus en plus dominants, les Etats-Unis renoncèrent à la convertibilité or/dollar et le privilège resta à un dollar n’étant soumis à aucune discipline et mis définitivement sous la coupe des marchés.

Ce fut la mort du système de Bretton Woods, bien que les institutions demeurèrent avec les mêmes étiquettes, et le début du règne de la dérégulation. Et c’est depuis que, dans un ordre de changes flottants, toutes les spéculations sont devenues possibles avec l’argent des autres ou un argent que personne ne possède, grâce à tous les effets de levier que nous avons passés en revue.

Il nous faut donc un second Bretton Woods, mieux protégé que le précédent et sans privilège de principe accordé à une devise quelconque. Il s’agit de rétablir, en mieux, l’esprit du Global New Deal que voulait Roosevelt, celui de la reconstruction de l’après-guerre en Europe, pour faire cette fois mieux et à l’échelle mondiale.

Pour cela, les principaux pays et les principaux responsables du monde doivent remettre en cause les choix effectués depuis une quarantaine d’années. Ainsi, pourvu que la volonté humaine se mobilise, un bien supérieur peut sortir du mal qui nous ronge.

Une Conférence internationale devrait être le vecteur de cet effort pour nous ressaisir. Les principes suivants devraient y être discutés, pour rebâtir l’architecture d’un système qui aujourd’hui ne répond plus aux exigences d’une économie au service du bien commun et des générations à naître :

  • constat de l’échec économique, social et humain de la financiarisation extrême de l’économie à laquelle nous sommes arrivés ;
  • priorité redonnée au rôle régulateur des Etats. Ils doivent pour cela reprendre le contrôle de l’émission de monnaie aujourd’hui abandonnée aux banques, aux sociétés d’assurance et aux établissements financiers de toute nature, et émettre des crédits à long terme et faible taux d’intérêt en faveur de grands projets d’équipement de l’homme et de la nature. Nous sommes convaincus que le fondement de cette politique doit être le crédit productif public, émis en anticipation des projets et remboursé par leur réalisation. Le système de « paiements différés » du Plan Marshall est la source d’inspiration à prendre en compte ;
  • régulation assurée par un système de parités fixes ou, du moins, stables, avec un instrument de référence commun pour compenser les déficits et les excédents d’échanges entre Etats ;
  • mise hors la loi des instruments financiers trop spéculatifs par des accords entre gouvernements ;
  • possibilité de créer une Agence internationale régulatrice pour la prospection, l’exploitation et la transmutation des matières premières, en vue d’éviter les spéculations et les écarts de prix entre ceux accordés aux Etats fournisseurs et ceux apparaissant sur les marchés internationaux, tout en s’efforçant de ne plus épuiser la nature et de servir chacun suivant les exigences du bien commun et les besoins des générations futures ;
  • réorganisation de l’endettement, avec une annulation des dettes illégitimes et un rééchelonnement en faveur des pays en difficulté. Aucun pays ne doit plus, par le jeu des taux de change et des intérêts composés, rembourser davantage en principal que le montant qu’il a emprunté ;
  • création d’un esprit de développement mutuel pour éviter les affrontements entre les peuples. Chacun doit avoir droit au développement, à l’énergie et à la vie.

Nous sommes convaincus que ces axes de réflexion ne constituent pas une utopie. Quand un système se détruit lui-même, quand il fait prévaloir la loi du plus fort et concentre les richesses entre les mains d’une minorité, il faut en changer. Le développement de nos économies s’est fait par l’association d’êtres humains en vue de projets à réaliser dans l’économie physique, avec des marchés organisés et des Etats garantissant une vision longue, un engagement dans le temps. Cela a été fait. Cela ne l’est plus aujourd’hui. Il ne s’agit pas pour nous de revenir au passé, mais d’arrêter un processus de destruction qui conduit à la catastrophe économique, politique et morale, en faisant mieux que nos prédécesseurs, cette fois à l’échelle de toute la planète. Car si l’économie mondialisée est un fait établi, le choix est entre une mondialisation financière qui détruit les fondements mêmes de l’économie, et une mondialisation associant les peuples et les Etats-nations en vue d’un projet de développement harmonieux, au service de tous.

Un grand débat est nécessaire, notre but est de l’ouvrir. Les peuples y sont prêts. Suivant un sondage mondial réalisé par Ipsos auprès de 22000 citoyens engagés de 22 pays, et publié le 2 janvier 2008, les trois quarts d’entre eux estiment que les grandes entreprises influencent trop leurs gouvernements respectifs. Ils sont pratiquement aussi nombreux à souhaiter que l’exécutif régule davantage l’activité de ces groupes nationaux ou mondiaux. Ils sont même 52 % à espérer que les gouvernements en prennent le contrôle. Nous n’allons pas ici aussi loin. Nous disons simplement que les Etats doivent donner le « la » financier et ne plus laisser l’orchestre livré à une cacophonie destructrice avec une prolifération d’instruments dissonants. En un mot, ils doivent redevenir des Etats-nations agissant pour le bien commun de leurs citoyens et des générations futures, et non comme les supplétifs de marchés livrés à une oligarchie financière conduisant le monde à la guerre de tous contre tous, faute de créer les ressources de l’avenir.

Jacques Cheminade

...suivez Jacques Cheminade sur les réseaux sociaux :

Prenez contact !