L’affaire Cahuzac, qui vient d’éclater au moment où j’écris ces lignes, est révélatrice de l’état de notre société. Un homme qui à plusieurs reprises a affirmé péremptoirement, « je n’ai jamais eu de compte à l’étranger. Ni maintenant, ni jamais », se trouve acculé à devoir avouer le contraire. Un homme qui s’était fait profession de combattre la corruption et la fraude fiscale a menti sur ses propres pratiques. Un homme s’est ainsi laissé entraîner dans la spirale du mensonge et est devenu son pire ennemi.
Est-ce un cas isolé ? Hélas, non. La corruption morale est devenue une gangrène collective.
Nous vivons dans un pays où un ancien président de la République et un ancien Premier ministre ont été tous deux condamnés pour la rémunération d’emplois fictifs. Nicolas Sarkozy se trouve mis en examen pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt. Affaire dans laquelle viennent tour à tour de se suicider l’avocat de la fille de Liliane Bettencourt, Olivier Metzner, ainsi que l’homme qui a supervisé l’affaire à la police judiciaire, Noël Robin.
Le scandale Tapie est encore plus éclatant. Voilà un homme qui a été d’abord soutenu par François Mitterrand pour torpiller la carrière politique de Michel Rocard, puis qui s’est rallié à la cause de Nicolas Sarkozy et a bénéficié d’un arbitrage arrangé, lui apportant 403 millions d’euros prélevés sur les deniers publics dans le différend commercial Adidas-Crédit lyonnais, soustrait ainsi à la justice ordinaire. Il est établi que c’est Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie et aujourd’hui patronne du FMI, qui a signé l’ensemble des actes administratifs ayant conduit à cet arbitrage et a donné de nouvelles instructions écrites, en juillet 2008, pour qu’aucun recours ne soit engagé contre la scandaleuse décision arbitrale. Il reste à prouver qu’elle avait reçu des instructions de l’Elysée à cet effet. Mais quels ont été ces arbitres pour le moins orientés ? Un ancien magistrat, Pierre Estoup, qui avait eu des liens avec Me Lantourne, l’avocat de Bernard Tapie, et aurait donc dû se désister. Et puis encore deux hommes au-dessus de tout soupçon, ou du moins proclamés tels, Jean-Denis Bredin, auteur de référence sur l’affaire Dreyfus, et Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel après Me Roland Dumas. Nous ne parlerons pas des autres scandales d’une République dévoyée par l’environnement d’une finance devenue folle.
C’est dans ces circonstances qu’un changement de cap s’impose. Au lieu de se complaire dans la délectation morbide que procure l’examen de ces turpitudes, nous devons nous ressaisir. Nous voici parvenus, avec les projets en cours aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et au sein de l’Union européenne, à un stade de la crise dans lequel le renflouement des mégabanques ne suffit plus pour empêcher le système d’éclater. Alors on se prépare à ponctionner les dépôts des particuliers et des entreprises dans les comptes bancaires ! Preuve en est que lors de l’examen de la réforme bancaire Moscovici, l’amendement visant à séparer l’argent du Fonds de garantie des dépôts du fonds de résolution (prévu pour recapitaliser les banques mourantes) a été par quatre fois rejeté. Il n’y a de toutes façons en caisse du Fonds qu’environ 2 milliards d’euros, face aux quelque 1800 milliards de dépôts éligibles à l’assurance car inférieurs à 100 000 euros.
Le vrai scandale est là, bien plus que dans chacune des « affaires ». Le vrai scandale est que personne, parmi les partis dominants, ne définisse une autre politique nationale et internationale. Il est temps de penser à nouveau à nos deux 18 juin, celui de 1940 et celui de 1954.