Face au changement que je propose, et qui est nécessaire pour jeter les bases d’une société se donnant un avenir, les voix du doute et de la soumission crient à l’utopie. Il n’y aurait pas d’autre choix que de tenter d’aménager un ordre financier et monétaire international qui s’effondre, de rester dans un système de l’euro qui se détruit lui-même et de sacrifier les ressources humaines au bilan des banques qui ont joué, triché et détruit. Il faudrait rassurer les marchés en détruisant les économies et les hommes, et notre triple A décerné par des agences de notation privées complices des banques serait un trésor national. On reconnaît là l’argument ultime, le fameux TINA employé en son temps par Margaret Thatcher : « There is no alternative. » Il n’y a en effet pas d’alternative si l’on continue à se soumettre à la loi suicidaire des marchés financiers. Sortir de leur emprise n’est pas un saut dans le vide ou une fuite en avant dans l’inconnu, mais retrouver notre raison d’être.
La France subit une occupation financière depuis quarante ans : plus des deux tiers de notre dette publique est entre les mains de non résidents, les spécialistes des valeurs du Trésor sont une immense majorité de banques étrangères, plus de 45 % du capital des grandes sociétés du CAC 40 est tombé sous le contrôle d’intérêts étrangers et près de 1500 entreprises publiques ont été privatisées depuis 1986. Tant et si bien que nos plus grandes entreprises privées actuelles ont été, à l’origine, des entreprises publiques qui ont été privatisées et qui aujourd’hui, dominées par des capitaux étrangers, font 70 % de leur chiffre d’affaires et 80 % de leurs profits hors de notre territoire. La France a ainsi perdu sa substance dans le système dominant : la part de notre industrie dans notre produit intérieur brut est de 14 % à peine et de 13 % dans nos emplois, alors que la production agricole allemande dépasse la nôtre grâce à ses salaires moins élevés ! Les emplois perdus dans l’industrie et l’agriculture engendrent ainsi le chômage ou se transforment en emplois de service improductifs.
La France subit en même temps un effondrement culturel, avec la chute de notre enseignement primaire et supérieur et l’insuffisance de notre effort de recherche fondamentale, dans une société du jeu, non seulement toléré mais promu, de l’image, de la violence, du sexe marchandise et du culte de l’apparence.
Cependant, sur la scène officielle, les questions secondaires, c’est-à-dire les effets, sont traités pour éviter les questions principales, qui relèvent des causes. Les petites phrases et les commentaires sur les personnes sont distillés pour échapper aux grandes idées. Les citoyens en perdent leurs repères et se laissent gagner par la passivité des âmes habituées. Lorsque, avec la dégradation de leur vie, la colère les gagnera, si rien n’est fait pour changer les choses ils basculeront dans une rage destructrice.
Nos dirigeants, obsédés par l’exercice du pouvoir, gardent les yeux fixés sur l’avis des sondages et les caprices des médias sous influence financière. Ils sont enkystés dans le système qui détruit, à l’état pur avec Nicolas Sarkozy ou bien sous le masque social assaisonné de nuances que portent ses concurrents officiels. D’autres, se disant opposés à cette dérive, ou bien en ont été auparavant les complices, coqueluches des médias, anciens sénateurs ou fils et filles de, ou bien récitent des catéchismes impuissants comme si le temps s’était arrêté à leur porte.
Il ne faut donc pas s’étonner que plus des deux tiers des Français, pensant que leurs enfants et petits-enfants vivront moins bien qu’eux, aient le sentiment d’être mal représentés par les partis, syndicats ou dirigeants politiques existants et aillent de moins en moins voter.
Est-ce « utopique » de vouloir changer cet état des choses, en s’efforçant de traiter le mal à sa racine ? Est-ce raisonnable de dire, à l’opposé, qu’il n’y a pas d’alternative ?
Non, ce n’est pas utopique. Oui, il y a une alternative.
D’abord parce que continuer à aller comme on va, en France et dans le monde, revient à trahir ce que de Gaulle appelait « la cause de l’humanité ».
Ensuite parce que je suis profondément convaincu (sans quoi je ne me serais jamais engagé en politique) que le mal provoque les êtres humains à se ressaisir et à faire le bien.
C’est dans ces heures sombres, si l’on veut en prendre conscience et se regarder en face, que l’homme de caractère trouve en lui les ressources d’un nouveau départ. C’est dans ces heures sombres, lorsque ceux d’en haut ne respectent plus même leurs propres lois, que naît parmi les hommes poussés à bout ce que Rosa Luxemburg appelle un « ferment de grève de masse ». Et c’est lorsque ce ferment de grève de masse, que personne n’a pu organiser ou calibrer d’avance, rencontre un homme de caractère, prêt à risquer sa vie, son honneur et son patrimoine, comme le définissait Benjamin Franklin, que peut changer et que change la direction de l’histoire.
Utopie ? Non, car c’est ce que dans notre histoire ont porté et portent au fond d’eux-mêmes les quatre grands courants de notre humanisme engagé : socialisme républicain, celui de Jean Jaurès et de Charles Tillon, christianisme social, celui de Simone Weil, de Marc Sangnier, des abbés démocrates bretons et de Jean XXIII, radicalisme de progrès, celui de Jean Zay, de Jean Moulin et de Pierre Mendès-France, et gaullisme patriote, celui de tous ceux qui arrivèrent à Londres ou prirent le maquis en laissant leur patrimoine derrière eux. Mon projet a pour but de faire converger et revivre ces courants, en bousculant leurs héritiers administratifs pour leur substituer des femmes et des hommes fidèles à leur élan passé et se portant à la frontière, vers notre avenir.
Et d’abord les jeunes, à qui cet avenir a été volé et à qui il faut le redonner. C’est à eux que je voue d’abord ma campagne, ses repères et ses pistes. Car je suis convaincu qu’avec eux, si nous menons ensemble le combat au nom des principes qui ont guidé les grandes découvertes de la science et inspiré la beauté des œuvres d’art, c’est-à-dire au nom de ce qui fait d’un homme un être humain, alors une société de la connaissance, de la compassion et de la justice pourra renaître demain. Cette société ne sera pas suscitée par les tièdes ou ceux qui ne reconnaissent pas la différence entre un être humain créateur et un animal domestiqué par les illusions dans lesquelles on le complaît.
Je m’engage pour elle avec l’âpre joie et la crainte surmontée d’être responsable.