La France avec les yeux du futur

Jacques Cheminade expose son projet éducatif devant le Syndicat général des lycéens (SGL)

samedi 21 janvier 2017

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Invité le samedi 14 janvier 2017 au Forum de l’alternative éducative organisé par le Syndicat général des lycéens (SGL), Jacques Cheminade, au même titre que dix autres candidats à l’élection présidentielle ou leurs porte-paroles, a pu détailler son projet éducatif devant un auditoire d’environ 200 personnes. Verbatim d’une intervention très dense et riche en propositions.

Voir enregistrement amateur sur facebook :
https://www.facebook.com/100008789710655/videos/1643398585963116/

Nous vivons sous la coupe de politiques néolibérales, qui sont en fait une occupation financière. Il faut dire les choses comme elles sont. Mon projet est de combattre cette dictature, particulièrement dans ses effets sur l’éducation.

Nous avons devant nous une pyramide inégalitaire. Alors, c’est au fondement-même de notre enseignement que mon projet éducatif – qui est à la fois individuel et conçu collectivement – s’adresse, pour en faire un lieu qui soit à la fois d’émancipation individuelle et de mixité sociale où chacune et chacun retrouve la confiance en soi et en l’autre, sans laquelle il n’y a pas de démocratie républicaine, pas de possibilité de concentrer son esprit dans la connaissance.

Le changement de méthode dès la maternelle – et je pense qu’on aurait du en parler – c’est le rattrapage des manques de vocabulaire, en organisant les relations entre ceux qui ont déjà le vocabulaire et ceux qui ne l’ont pas, et en donnant à chacun les verbes et les mots qui expriment l’action. Si cela n’est pas fait, parler d’égalité est une hypocrisie. Il faut donner au peuple les mots qui lui permettent de combattre la caste.

Le développement de l’autonomie par le jeu, en vivant ensemble le fait que le jeu et la connaissance ne sont pas deux choses séparées, mais qu’ils sont ensemble le fondement de la curiosité humaine, qui est une de nos grandes qualités – la qualité-même des êtres humains.

Donc, il faut promouvoir tous les projets innovants. Cela a été dit, mais il faut bien voir là où ils sont : Montessori, Fresnay, Marie Curie - il y a beaucoup d’intérêt à voir comment Marie Curie a développé l’enseignement des jeunes enfants, ou ce que d’autres enseignants ont développé eux-mêmes à partir de leur expérience. C’est à suivre, comme inspiration, dans tout le primaire, en mettant constamment la main à la pâte.

Alors, entre le CP et le CM2, il faut établir une sorte de cadre mobile ou ouvert, qui permette de continuer cette expérience d’émancipation et de transmission. C’est un français vivant – et je suis partisan de rétablir 15 heures de français à ce niveau – c’est la lecture, c’est l’écriture, c’est la poésie, c’est Rabelais ! C’est très différent d’apprendre la poésie par cœur et d’apprendre des formules mathématiques qu’on vous inflige. La science, ce n’est pas les formules mathématiques ; c’est la géométrie constructive, comme dans le Ménon de Platon, où on vous apprend à doubler la surface du carré. Chose qui n’est pas évidente, même aujourd’hui pour les polytechniciens !

Concernant l’histoire et la géographie : pas l’histoire par thèmes qui déroute, ni ce dont certains ont parlé, le repli dans un récit ou un roman national, qui justifie aussi bien Napoléon et Louis XIV, mais l’immersion dans ce que le monde a pu apporter de mieux dans l’espace et dans le temps, et où la France a pu jouer un rôle. Alors, il y a quelque chose de très simple qu’on devrait apprendre à l’école : le combat, pendant la Révolution, entre les Montagnards, qui disaient : « liberté, égalité et fraternité », et qui heureusement ont gagné sur cela, et les Girondins, qui disaient « liberté, égalité et propriété ». C’est très intéressant de faire réfléchir les enfants sur cela.

Et puis, la musique, parce que vous savez – ou vous ne savez sans doute pas – j’ai toujours défendu le chant choral, parce que pour moi le chœur est en petit ce que la République doit être en grand.

Un bilan des connaissances et des compétences doit être fait en CP et en CM2, pour que personne ne soit largué. Il ne s’agit pas d’une perte de temps par rapport au programme, mais d’arrêter le déni de réalité et de recréer un sens de l’enseignement mutuel, où ceux qui savent en sauront davantage en apprenant à ceux qui ne savent pas.

Au cours de la scolarité, du CP au CM2, le principe doit être : un tuteur si possible, pour chaque élève, et au moins, comme il a été dit avant, un tuteur pour deux ou trois en faisant appel aux bonnes volontés. Ainsi, au cours du collège, chacun pourra aller jusqu’en troisième, avec les compétences et l’esprit critique, et être prêt à une orientation digne de ce nom. Cela suppose bien entendu le tutorat, réellement exercé, et un rétablissement des heures d’études en présence d’un enseignant, partout où chacun et chacune se trouve dans une situation d’inégalité, indépendamment des difficultés de la vie familiale. On pourra, dans ce moment, comprendre, étudier ensemble et partager.

Bien évidemment, une limite nationale des effectifs doit être fixée, d’après moi à 25 élèves, et beaucoup moins en milieux difficiles où l’objectif devrait être de 10 à 15 élèves, et où les enseignants les plus expérimentés devront les former.

Vous ne le savez peut-être pas, mais en Chine les professeurs n’enseignent qu’onze heures par semaine, et le reste du temps ils reçoivent les parents ou les élèves, individuellement ; assistant aux cours d’autres professeurs, ce qui accélèrera leur carrière, en primaire comme au collège, et aussi au lycée. Pour en arriver là en France, il faut créer bien entendu des bureaux, des lieux où les enseignants pourront recevoir parents et élèves en dehors de la classe – souvent ils les reçoivent au café ou dans la classe, ce qui est désastreux – et mieux rémunérer nos enseignants. On l’a dit ; moi, je propose 20 % en deux ans, très vite, pour qu’ils gagnent le respect qui leur permette d’exercer leurs compétences, et en même temps les aider à ce que le mammouth leur lâche les baskets, et qu’ils puissent manifester leur création dans la classe.

Venons-en au lycée, qui doit être l’aboutissement de cette démocratie républicaine. Le scandale en France, c’est d’une part le bachotage, d’autre part l’organisation de fait de la pyramide sociale, qui trie et éjecte au fur et à mesure, et enfin une inégalité entre les filières et les courroies. Pisa peut bien être contestée, mais c’est bien révélateur.

Pour retrouver une éducation de qualité qui soit ouverte à tous et qu’elle transcende les inégalités sociales, des propositions – vos propositions, du SGL, me paraissent complètes et nécessairement refondatrices.

D’abord, avoir un lycée polyvalent, regroupant toutes les voies, et je vais même plus loin que vous : je pense que dans ce cadre la philosophie doit commencer plus tôt, même avant les classes terminales et de BEP.

La philosophie, c’est essentiel, et dans certains pays d’Amérique latine que j’ai connus, ça commençait plus tôt et c’est tout à fait émancipateur.

Ensuite, davantage de moyens doivent être donnés pour que le lycée représente la nouvelle société mixte de demain. Respect de la filière professionnelle et de la filière technologique. Rétablir le Bac pro en 4 ans. Jean-Luc Mélenchon le propose, moi aussi.

Redonner à la filière les moyens financiers et humains dont elle a été dépourvue depuis au moins dix ans, par des politiques hypocrites soi-disant socialistes, et permettre dans ce contexte au CFA de réellement former des apprentis qui arrivent en état d’être formés, et pas de devoir faire du rattrapage scolaire pour des décrocheurs plus ou moins abandonnés.

Renforcer le caractère national du Bac, comme vous l’avez dit, et un meilleur encadrement et accompagnement du lycéen. Une requalification et une émulation des assistants d’éducation ; la création d’un pôle public d’orientation, disposant d’une antenne dans chaque établissement scolaire.

Et pour éviter une éducation à deux vitesses avec les sociétés privées de soutien scolaire et l’émancipation ou « l’émigration » des plus favorisés dans l’enseignement privé, mise en place d’un service de soutien scolaire public et gratuit, assurant des soutiens dans les créneaux du temps scolaire.

Il faut aussi garantir un pôle de postes titulaires de remplaçants, pour répondre à la question précédente, les professeurs rattachés étant à chaque lycée particulier, pouvant intervenir dans tout secteur déterminé et être affectés au service public d’aide scolaire quand ils ne remplaceront pas leurs collègues.

Il faut assurer la gratuité des manuels scolaires et socio-professionnels, créer un service public des transferts scolaires géré par les collectivités territoriales, et surtout assurer une restauration scolaire digne de ce nom, basée sur le mieux-disant et pas sur le moins-disant, et tant pis si l’Union Européenne nous dit qu’ « il faut que la concurrence soit libre et non faussée ». Cette Union Européenne-là s’est détruite elle-même.

Nous devons voir toutes les expériences réussies, partout ; que ce soit les Apprentis d’Auteuil dont on a parlé, les Ecoles de la deuxième chance, les EPUB, et que leurs expériences créatrices irriguent et viennent développer l’enseignement de droit commun.

Renforcer l’ouverture culturelle des lycéens : dans le cadre scolaire, que l’on puisse visiter des musées des Beaux-arts, comme vous l’avez dit, assister au minimum à une représentation d’un opéra et d’une pièce de théâtre, et enfin voir les films de la grande histoire du cinéma (moi, je mentionnerais mon préféré, La règle du jeu, d’autres pourront mentionner Le voyage à Tokyo d’Ozu) ; bref, avoir un projet pédagogique qui donne du sens, qui donne une identité qui ne soit pas restreinte dans un repli national, mais qui soit à la mesure du monde.

Alors, pour conclure, trois choses : une réforme de la démocratie lycéenne, telle que vous la préconisez est nécessaire pour y arriver.

Le lycée doit être en petit ce que la République est en grand. Dans le contexte de ce projet, je propose le droit de vote à 16 ans, avec une inscription automatique sur les listes électorales, comme il a été dit, pas pour que la lutte des classes d’âges se substitue à la lutte des classes, mais pour qu’on puisse voir, pour que vous puissiez voir, avec les yeux du futur, et que l’on donne à l’enseignement les yeux du futur.

Tout cela ne resterait que du blablabla si on ne combattait pas la dictature financière, en définanciarisant la mondialisation. Dé-mondialiser, c’est impossible, mais dé-financiariser, combattre la financiarisation mondiale, est tout à fait possible. Et, en refaisant de nous tous des patriotes et des citoyens du monde, car « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. »

Merci.


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