« Il n’est de permanent que le changement », nous dit Héraclite d’Éphèse dans l’un des ses fragments qui nous sont parvenus. Depuis, l’histoire humaine s’est caractérisée par des moments de renaissance au cours desquels de grandes découvertes ont été faites, appliquées et socialisées pour étendre la capacité des hommes à améliorer le monde et à rendre plus justes les rapports sociaux. Comprenant que ces changements remettaient en cause les fondements de leur pouvoir, les oligarchies dominantes ont toujours voulu maintenir la « stabilité » du monde en leur faveur, en jetant le discrédit sur les conséquences de l’activité humaine et en s’efforçant d’imposer leur pouvoir par la force ou, mieux, par la soumission volontaire des opprimés. Aujourd’hui, alors que règnent les féodalités financières, associées à l’usage du numérique pour leurs opérations, elles jouent une fois de plus la carte du pessimisme culturel, en donnant à croire que l’homme est un nuisible dont l’activité userait les ressources de la nature. Faire porter à l’activité humaine la responsabilité du changement climatique est leur arme pour contrer l’idée de progrès et semer le doute sur le sens de notre existence, en égarant ainsi ceux qui les combattent.
Tout le mouvement organisé autour de la COP21 obéit à cette stratégie. Si la planète se réchauffe, ce serait la faute à ceux qui dégagent de l’énergie en produisant et menacent ainsi le monde qui leur a été donné. C’est non seulement ignorer les cycles historiques de variation de la température sur terre, notamment ceux de 10 0000 et de 41 000 ans qui ne doivent rien à l’homme et portent sur plus de dix degrés, mais c’est surtout promouvoir implicitement ou explicitement que nous pourrions vivre en consommant moins et en réduisant notre activité, la conclusion logique étant qu’il faudrait réduire la population humaine pour la rendre globalement moins prédatrice. C’est reprendre en fait les conceptions du Club de Rome, notamment celles d’Aurelio Peccei pour qui « l’humanité se développe comme une maladie cancéreuse multipliant ses métastases » .
La promotion d’une société ainsi « stabilisée » au profit d’une élite malthusienne se trouve exprimée de la manière la plus explicite dans Le Meilleur des mondes , écrit par Aldous Huxley en 1931, puis dans son Retour au meilleur des mondes , publié en 1957, et enfin dans la conception du monde culturellement relativiste et clairement eugéniste promue par son frère, Julian Sorell Huxley, nommé à la tête de l’UNESCO après la dernière guerre. Pourquoi leur donner ici une importance fondamentale ? Parce que les frères Huxley présentent ouvertement les raisons d’une idéologie que d’autres masquent davantage, et que ce qu’ils ont énoncé éclaire ce qui se passe aujourd’hui dans le monde.
Mustapha Menier, le Grand Administrateur du Meilleur des mondes, explique ainsi le but de son projet :
« Nous ne voulons pas changer. Tout changement est une menace pour la stabilité. C’est là une autre raison pour que nous soyons si peu enclins à utiliser des inventions nouvelles. Toute découverte de la science pure est subversive en puissance ; toute science doit parfois être traitée comme un ennemi possible. Oui, même la science.
« Nous ne lui permettons de s’occuper que des problèmes les plus immédiats du moment. Toutes autres recherches sont le plus soigneusement découragées. »
Ainsi, l’oligarchie bannit le progrès scientifique et lui substitue l’innovation : pas de découverte et d’application de nouveaux principes scientifiques, mais de nouveaux objets qui permettent, au sens propre comme au figuré, de « distraire » et/ou de faire la guerre. Vous avez dit smartphones, jeux vidéo à grands effets, films en 3D, essaims de robots tueurs ? Le monde d’Huxley ne serait-il pas déjà parmi nous ?
Continuons : » Nous avons sacrifié le grand art. Nous avons à la place les films sentants et l’orgue à parfums (...) Vous fabriquez des tacots avec le minimum absolu d’acier, des œuvres d’art avec pratiquement rien d’autre que la sensation pure. »
Après la science, c’est donc l’art s’adressant à l’esprit humain qui se trouve éliminé, et ne reste que ce qui touche à notre part animale. Bref, ce monde est celui des sensations et de l’organisation logique de ce qu’elles impliquent, en écartant tout ce qui peut susciter la découverte de principes physiques nouveaux et les émotions associées à cette connaissance. La « stabilité » est un monde de perceptions sensorielles à deux dimensions. Cela vous semble familier ? Il faut en outre des vices contrôlés et la liberté sexuelle détachée de tout projet.
Poursuivons : « Mais qui dit chasteté, dit passion ; qui dit chasteté, dit neurasthénie. Et la passion et la neurasthénie, c’est l’instabilité. Et l’instabilité, c’est la fin de la civilisation. On ne peut avoir une civilisation durable sans une bonne quantité de vices aimables (...) A mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation. Et le dictateur (à moins qu’il n’ait besoin de chair à canon et de familles pour coloniser les territoires vides ou conquis) fera bien d’encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l’influence de drogues, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort. »
Les instruments du numérique et du digital n’ont fait aujourd’hui que rendre plus efficiente l’emprise décrite par Huxley, ses victimes « séduites » tendant même à défendre cette emprise contre ceux qui entendent les en libérer.
Passons maintenant au Retour au meilleur des mondes . Nous sommes en 1957, et Huxley décrit la menace qui lui a échappé en 1931 et qu’il faudra combattre, la « surpopulation », titre du premier chapitre de son livre, qui lui inspire la tirade suivante :
« Dans le Meilleur des mondes de ma fable, le problème du rapport entre le nombre des humains et les ressources naturelles avait été résolu : un chiffre optimum ayant été calculé pour la population mondiale (un peu inférieur à deux milliards, si mes souvenirs sont exacts), il était maintenu, génération après génération. Dans le monde contemporain, rien n’a été fait. Au contraire, ce problème devient plus grave et plus redoutable avec chaque année qui passe et c’est dans ce sinistre décor biologique que se jouent tous les drames politiques, économiques, intellectuels et psychologiques de notre époque. A mesure que le vingtième siècle approche de son terme, que de nouveaux milliards s’ajoutent aux milliards existants (nous dépasserons les cinq et demi quand ma petite-fille aura cinquante ans), ce décor biologique s’avance, toujours plus insistant, plus menaçant. Le problème du rapport entre un chiffre de population rapidement croissant et les ressources naturelles, la stabilité sociale, le bien-être de l’individu – ce problème est maintenant le principal qui se pose à l’humanité et il le restera certainement pendant un siècle encore, peut-être plusieurs. Une nouvelle ère est censée avoir commencé le 4 octobre 1957, mais en réalité, dans l’état présent du monde, tout notre exubérant bavardage post-spoutnik est hors de propos, voire même absurde. En ce qui concerne les masses de l’humanité, l’âge qui vient ne sera pas celui de l’Espace cosmique, mais celui de la surpopulation. »
On comprend ainsi mieux que le prince Philip de Grande-Bretagne, grand promoteur de bienfaits écologiques, ait pu déclarer, si la métempsychose le rendait possible, vouloir ressusciter sous la forme d’un virus tueur pour, bien entendu, soulager une partie de l’humanité de son fardeau. Propos d’un hurluberlu ? Peut-être, mais s’inscrivant logiquement dans un raisonnement impeccablement logique si l’on admet ses prémisses folles. Et ce sont ces prémisses folles qu’on nous assène aujourd’hui !
Julian Sorell Huxley, dans son intervention à la grande conférence de l’UNESCO de 1946, explique très sérieusement : « L’homme pourrait tirer parti d’une méthode de transformation génétique, s’il appliquait systématiquement les principes de l’eugénisme... Pareille méthode produirait donc ses effets bien plus rapidement et comporterait bien moins de gaspillage que la sélection naturelle. »
Sommes-nous loin de l’esprit de la COP21 ? Non, quelles que soient les raisons de ceux qui l’organisent. Car si l’on déplore l’activité humaine parce qu’elle engendrerait le changement climatique, on est logiquement tenu à conclure qu’il faudrait moins d’activité et moins d’êtres humains sur terre. C’est la logique de Huxley et, pourrait-on ajouter, de Bertrand Russell et ses semblables.
C’est au contraire une grande conférence, elle aussi internationale, qui devrait se tenir sur la mobilisation de la recherche et de ses applications, afin d’explorer, dans l’histoire de notre planète, tous les facteurs – solaires, galactiques ou autres – qui ont pu déterminer le changement climatique, et parvenir pour la première fois à maîtriser le climat pour le bien commun et les générations à naître. Albert Einstein, qui fut le premier à établir le rapport entre la quantité d’énergie émise par un corps sous forme de rayonnement et la masse perdue par ce corps, équivalente à cette quantité divisée par le carré de la vitesse de la lumière, en serait certainement heureux. Car il verrait que le progrès qu’il a apporté à la physique fondamentale, donnant naissance au système GPS, aux cellules photoélectriques, aux lasers et à la fusion thermonucléaire, serait mis au service d’un monde meilleur et non de la distraction infantile des masses et du chantage des élites à en faire ses instruments de guerre.