Déclaration de Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès
Paris, le 17 septembre 2021. Si l’on ne réagit pas à un affront en saisissant l’occasion de se révolter, on se condamne à une soumission indigne.
La France doit donc réagir en changeant l’orientation de sa politique face à l’intervention des Etats-Unis et du Royaume-Uni pour casser notre « contrat du siècle » avec l’Australie. Non seulement ces trois pays ont trahi notre confiance, mais ils l’ont fait sans nous en avoir officiellement avertis. Ainsi le Président américain, Joe Biden, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, et son homologue australien, Scott Morrison, sont apparus ensemble au cours d’une visioconférence pour annoncer leur forfait, avec le sourire satisfait de ceux qui croient s’en prendre à plus faible qu’eux. C’est une belle occasion de leur donner tort, en allant au fond des choses.
Leur forfaiture se situe dans le contexte de ce qu’ils appellent l’AUKUS, la création d’un partenariat stratégique et nucléaire contre la Chine dans la zone indo-pacifique. Comme si les pays anglo-saxons n’avaient rien compris, malgré leurs Cinq Yeux [1], après la débâcle de l’OTAN en Afghanistan.
Comme s’ils n’avaient pas compris que continuer une politique d’affrontement permanent et de guerre froide, au détriment de leurs ennemis, de leurs alliés et en fin de compte d’eux-mêmes, c’est-à-dire de leurs peuples, ne peut conduire qu’à un désastre bien pire : la destruction des capacités économiques de tous et, avec la prolifération d’armes nucléaires, le risque d’un conflit dans lequel l’humanité s’anéantirait elle-même dans de monstrueuses destructions.
Je ne veux pas tomber dans le travers de citer Charles de Gaulle chaque fois que se présente un défi majeur pour notre pays, mais en annonçant le 18 mars 1964, à l’Université de Mexico, que « le fait qui dominera notre futur, c’est l’unité de notre univers », il s’adresse également à nous : « Une cause, celle de l’homme ; une nécessité, celle du progrès mondial et, par conséquent, de l’aide à tous les pays qui le souhaitent pour leur développement ; un destin, celui de la paix, sont, pour notre espèce, les conditions même de sa vie. » J’ajouterais aujourd’hui, de sa survie.
Quelles initiatives donc prendre, ici et maintenant ? Que la France donne enfin l’exemple en rompant avec un atlantisme qui a fait la preuve de son caractère néfaste, portant en lui la guerre comme la folie suit son ombre. Qu’elle arrête elle-même de jouer une carte « indo-pacifique » qui, sans la Chine, ne peut être jouée que contre elle et la Russie. Qu’elle prenne acte que l’OTAN et les traités franco-britanniques de Lancaster House ont perdu tout sens. Qu’elle présente enfin aux peuples et aux nations du monde ce qui est sa raison d’être : une politique de paix par le développement mutuel, par delà le poids même d’une poignée de sous-marins. Qu’elle jette aux orties une géopolitique où chacun cherche à s’emparer de la mise, et qu’elle monte en première ligne du combat pour un nouvel ordre économique financier et monétaire mondial.
Quelle belle occasion nous offre l’Afghanistan ! En arrêtant de laisser mourir ce peuple, aujourd’hui dépourvu de tout, et en y organisant – là comme au Niger ou au Mali, au Liban, en Syrie et au Yémen – d’abord une assistance humanitaire pour éviter le pire, puis une politique de reconstruction et de désenclavement systématique !
A cette fin, le défi est que les grandes puissances du monde changent leurs rapports et passent d’une politique d’affrontement géopolitique à un engagement de développement mutuel. La France, par rapport à ce qui paraît aujourd’hui impossible mais qui est d’autant plus nécessaire, n’est plus considérée comme une « grande puissance » en termes statistiques, mais sa grandeur serait de devenir médiateur, catalyseur et inspirateur pour aider le monde à sortir de son dilemme mortel.
Nous ne devons pas pleurer d’avoir été trahis et dénoncer un « coup dans le dos » avec l’impuissance de ceux qui ont voulu ne rien voir venir. Retrouvons une volonté politique de changer la règle du jeu ! L’Institut Schiller a tracé les plans, dans la situation mondiale actuelle, de corridors de développement qui doivent être corridors de paix. Je crois, en ce sens, à l’importance salvatrice des Nouvelles Routes de la soie, je crois que les peuples chinois, russe, européens et américains doivent et peuvent travailler ensemble pour que les êtres humains trouvent une solution à un niveau plus élevé que celui auquel se pose aujourd’hui le défi. A nous d’y croire, comme y crurent le Général de Gaulle, les Français Libres et les Résistants, malgré la débâcle de mai-juin 1940, à nous de nous battre pour qu’adviennent des jours heureux, cette fois réellement heureux, en France et dans le monde.
Sans ce sursaut, sans courir le risque de relever le défi, nous aurons à la fois le déshonneur et la guerre, faute d’avoir réparé, reconstruit et refondé.